[Chronique Innovation]
La légende du télésiège en bois

novembre 26, 2019

L’évolution des remontées mécaniques est un exemple parfait de la technologie au service du client : de 2 à 12 places, du vent glacial aux sièges chauffants, des montées interminables aux nouveaux télécabines ultra-rapides…
Mais tout cela a un défaut majeur : la promiscuité forcée est inversement proportionnelle à la qualité de la convivialité

Je trouve que l’évolution des remontées mécaniques est un exemple parfait de la technologie au service du client. Fini les téléskis sauteurs qui massacrent le dos et chauffent cuisses et biceps dans des pentes à 60 degrés. L’heure est aux télésièges 6, 8 ou 12 places et, comble du luxe, parfois chauffants. Les télécabines ultra rapides gobent les skieurs par paquets de 20. Les téléphériques se déclinent en appartements de deux étages, parfois avec terrasse.

Mais tout cela a un défaut majeur : la promiscuité forcée est inversement proportionnelle à la qualité de la convivialité. C’est pour cela que j’adore toujours autant, LE télésiège historique, à assise bois et dossier métal, oublié au fond d’une combe ou au bout du bout d’un domaine skiable. Quand on trouve cette perle rare, on sait à quoi s’en tenir. La montée est interminable, le vent congèle les chairs, la barre de dossier laboure les vertèbres mais les conversations avec votre voisin de galère prennent soudain une tournure d’autant plus chaleureuse que la température du corps dévale vers le bas !

C’est comme cela que je rencontrais à tour de rôle un champion de surf canadien à l’affût de nouveaux spots, une journaliste people à la recherche d’inspiration et un petit gamin qui avait perdu ses parents. La rencontre suivante aurait pu faire l’objet d’une très agréable description dans un roman de plage si nous n’avions été en plein hiver.

Entre la gare de départ et le premier pylône, je sus qu’elle était anglaise, de par la communication téléphonique qu’elle reçut. En fait, elle était « chief economist » dans une grande banque de la City et désespérait du Brexit. Elle était en mission pour analyser in situ les politiques de grandes métropoles européennes et décompressait le week-end en avalant des kilomètres de poudreuse.

« Vous comprenez, vos métropoles, nous les pistons au travers des grandes entreprises et des stratégies industrielles européennes. Mais les petits territoires dynamiques sont plus difficiles à cerner. Et comme nous ne voulons pas rater quelques pépites, c’est sur le terrain qu’il faut aller. Oh, je vous embête avec mes histoires. C’est un sujet qui ne vous concerne pas ici, vous qui vivez dans ces splendides montagnes où vous fabriquez un merveilleux reblochon » !

Elle était délicieuse. J’avais adoré sa façon de prononcer le nom de notre fromage emblématique. J’avais envie de lui parler de la tomme et autre Beaufort. Mais en même temps, mon cerveau d’ambassadeur Savoie Mont Blanc me disait qu’il me fallait rétablir la vérité. « Vous savez, au fond de nos vallées, nos verts pâturages font la place à de multiples  pépites, comme vous les appelez, souvent des PME qui éclusent les marchés mondiaux »

Elle sourit : « je suis au courant ! Nous avons participé à plusieurs tours de tables pour des entreprises pas bien loin d’ici, mais elles ne sont pas très nombreuses ».

– Me permettez-vous de contredire une chief economist de la City?

– Allons-y ! Nous avons encore bien des pylônes à franchir !

– Connaissez-vous notre stratégie araignée ?

 

A son air étonné, je savais que je pouvais pousser l’avantage.

– Sur nos territoires de montagnes, la valeur se crée dans la maitrise de hautes technologies et dans la densité des échanges entre des entreprises qui n’ont parfois en commun que leur isolement géographie. Ici, on va structurer des bonnes pratiques de partage et créer ainsi un réseau capable de s’adapter à une grande variété de donneurs d’ordres. C’est pour cela que nous qualifions notre stratégie d’araignée, car les fils quasi invisibles forment une toile robuste et flexible à la fois.

Piquée au vif, elle répliqua « mais vos PME, de par leur taille, ne peuvent faire de recherche et c’est bien le point faible que nous détectons ! ».

– C’est vrai ! Mais si vous arrivez à structurer quelques PME autour de projets communs vous retrouvez la puissance de feu d’un groupe.

– Vous rêvez ! Dans la pratique ça ne peut pas marcher !

– Et pourtant ça tourne : une sorte de culture d’open innovation montagnarde permanente .

La montée avait pris moins de temps que nous ne l’avions cru mais j’eus dans les jours qui suivirent un long prolongement téléphonique à cette trop éphémère rencontre.

Epilogue

Cher ami lecteur, comme vous l’aurez deviné cette « légende du télésiège en bois » est peut-être sortie mon imagination débridée. Toutefois, si vous croisez au fin fond d’une combe ou d’un grand domaine d’altitude, une « légende » aux longs cheveux roux avec une charmante pointe d’accent anglais, vous saurez qu’elle obtint de sa banque d’affaires, un bonus temps pour analyser nos étonnants pays de Savoie. Preuve que ces remontées mécaniques d’un autre siècle ont gardé une utilité essentielle à notre monde moderne : la valeur du partage du temps qui passe. Anything else ?

 

André Montaud

am@thesame-innovation.com

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