La chronique Innovation
Il m’a fait le coup de la panne !

août 30, 2018

Quand on vous parle de digitalisation de l’entreprise, ne pensez pas que techno ! Dépêchez-vous d’adapter vos pratiques, avant que vos pratiques ne vous fassent disparaître.

Découvrez la chronique d’André Montaud

Il m’a fait le coup de la panne !

La façon qu’a notre vieux monde de s’adapter aux nouvelles technologies n’a de cesse de me stupéfier. Bien que certains d’entre nous le répètent depuis plus de 20 ans, ce n’est que très récemment que nos élites ont pris conscience du fait que la mise en relation directe de quelques milliards de terriens entre eux risquait fort de transformer notre monde de manière peut-être encore plus profonde que ne l’avait fait l’invention de l’imprimerie en son temps. Grosse surprise ?

Hier soir, mon lave-vaisselle est tombé en panne. Il n’avait même pas terminé son taf que, paf, il s’est mis en sécurité en affichant un splendide E15 à côté d’un petit symbole de robinet clignotant. J’ai eu beau, comme le conseille la vieille sagesse populaire, taper dessus de toutes mes forces, il a refusé de repartir. Y a des moments comme ça.

Dans le monde Internet, quand un outil tombe en panne, c’est la révolution. Au point que, parfois même, des ministres s’en occupent. Quand Facebook ne répond plus, tout Twitter ne parle que de ça (et inversement). Quand un formulaire d’inscription est trop compliqué, le service associé disparaît ou s’adapte en moins de temps qu’il ne m’en faut pour l’écrire. Quand un support technique est déficient, on va voir ailleurs et puis voilà : tout doit être fait pour nous faciliter la vie.

Sur Internet, tout le monde a compris, depuis longtemps, que si tu veux attirer le chaland, il vaut mieux être réactif et accueillant que, disons, lent et chiant. Si ce n’est pas le cas, tout le monde se fout de ta gueule sur les forums avec des LOLs et des MDRs. Grosse surprise ?

Je vais te dire un secret : mon métier c’est d’héberger des serveurs Internet pour des clients. Et quand l’un d’entre eux tombe en panne, c’est rarement le client qui m’en informe : les machines sont supervisées et je reçois des alertes. Souvent, même, j’ai le temps de réparer avant même que mon client ne se soit aperçu de quoi que ce soit. Un truc de ouf.

Mais là, je ne suis pas sur Internet et j’ai un lave-vaisselle en rade.

Comme personne ne m’appelait pour me dire à quelle heure le lave-vaisselle allait arrêter d’afficher E15, j’ai fini par aller voir moi-même, là où je l’ai acheté avec ma super garantie «Assistance 24/24-7/7».  Je clique sur le site et je cherche où se trouve cette fameuse assistance 24/24 7/7. Rien ! Je fouille encore et, au bout du compte, il m’est indiqué qu’il faut téléphoner (un truc de vieux avec des numéros au lieu d’un nom de domaine). Alors je téléphone. J’ai de la chance : de 7h à 22h, l’assistance 24/24 est ouverte et il n’est que 20h ! Sauf qu’au lieu de tomber sur le technicien qui me dira quand je pourrai récupérer les assiettes pour le dîner, je tombe sur un robot qui me demande ce que je veux. Je lui dis «assistance», il me répond «quel est votre département?». Je vis à Nîmes : je réponds «30000». Il me dit qu’il n’a pas compris et que je dois recommencer. Alors, tu vas dire que j’insiste un peu lourdement, je sais. Mais, sur Internet, ce genre de réponse n’existe plus depuis au moins un siècle. Sur Internet, quand on programme un robot, on sait comment lui faire comprendre que «30000» ça veut dire «Nîmes, dans le Gard, en France, sur Terre».

Mais le robot de mon vendeur qui répond au téléphone du SAV 24/24 7/7, il faut lui dire, L.E.N.T.E.M.E.N.T , non pas «30000», mais «30» (j’ai pigé au bout de seulement 3 essais, car je suis un génie). Sinon, il ne comprend pas et il t’engueule que tu dois bien articuler et que tu vas devoir recommencer. Comme je suis un génie et que j’ai atteint le niveau 2, le robot me demande quel est l’appareil en panne en me demandant son nom (il me donne un exemple: «dites “téléviseur” si votre téléviseur est en panne» ). Trop facile : je dis «lave-vaisselle».

Là, le robot m’explique gentiment que si je ne parle pas français j’allais avoir des soucis. J’ai recommencé. Plein de fois. Le robot a fini par me considérer comme trop débile pour poursuivre le jeu et m’a annoncé qu’il allait me passer un humain. Il m’a dit de patienter et il m’a mis de la musique.

Sur Internet, on ne patiente pas. Sur Internet, quand on demande quelque chose et qu’on n’a pas de réponse, on va ailleurs. Mais là, je n’étais pas sur Internet : j’étais au pays du «E15». Je me suis dit que, puisque mon téléphone était sans fil, j’allais pouvoir prendre l’apéro en musique durant l’attente, mais une dame m’a soudain dit «bonsoir» dans le téléphone. Flippant !

Bon, tant pis pour l’apéro : je lui explique que le lave-vaisselle me dit E15 et ne veut plus rien faire, même pas s’éteindre, qu’il n’a pas fini la vaisselle et que j’ai faim. Elle me répond : « à quel moment du cycle s’est-il arrêté ?».

Arrrrgghhhh !  Je ne sais pas, moi ! Je n’ai pas pour habitude de rester devant la machine, en l’ouvrant de temps en temps pour voir où elle en est la vaisselle : je mets les assiettes et le produit dedans, j’appuie sur le bouton, et je vaque. Visiblement, j’ai tout faux. Donc, je lui dis «je ne sais pas», et la dame m’explique que si je ne réponds pas à ses questions elle ne va pas pouvoir m’aider. Texto.

 

À ce stade j’étais un tout petit peu en colère. D’ailleurs la dame m’a dit que tant que je lui parlerai sur ce ton, elle ne dirait plus rien. Je lui ai répondu que si elle ne voulait pas avoir au téléphone des clients énervés, elle devrait essayer de programmer son robot pour qu’il n’insulte pas les humains. Mais elle n’a rien dit.

Au bout du compte, j’ai dû faire ce qu’elle me disait : aller sous l’évier vérifier que les chats n’avaient pas volontairement fermé le robinet d’arrivée d’eau, ni n’avaient fait de nœuds dans les tuyaux, et que ces derniers étaient bien à leur place bien qu’ils aient été installés par les livreurs du marchand et que personne n’y avait touché depuis, même pas les chats. Alors elle a accepté avec grandeur de me passer un technicien qui m’a dit :

 

« Ah ! E15 ? Mais il n’y a rien à faire ! Je passe vous voir lundi pour réparer » .

 

Lundi, c’est dans 2 jours : je vais donc mourir de faim sans assiette propre pour manger. C’est la vie.

Autant vous le dire, sur Internet, ce vendeur-là, ça fait des années qu’il est mort. Il a cru s’adapter au numérique en ouvrant une boutique en ligne en plus de ses magasins physiques, mais il a oublié d’adapter ses pratiques commerciales. Il ne sait pas qu’il est mort. À ce stade, il bouge encore, il croit qu’en mettant des robots au téléphone à la place des humains trop chers il pourra continuer à survivre. Mais en vrai, il est mort.

Oui, Internet a créé davantage de concurrence, dans tous les domaines. Et oui, pour l’instant au moins, sur Internet le client est roi et les rois n’aiment pas redevenir de simples mortels quand ils doivent traiter avec les représentants de la vieille économie.

Alors, quand on vous parle de digitalisation de l’entreprise, ne pensez pas que techno ! Dépêchez-vous d’adapter vos pratiques, avant que vos pratiques ne vous fassent disparaitre.

André Montaud

Cette chronique est une courte adaptation du splendide texte « Internet et le Lave-Vaisselle (Lettre à Michel Serre) » de Laurent Chemia, co-fondateur de Gandi.

 

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