J’AI MAL AUX PIEDS

janvier 17, 2019

Au CES, les grands du numérique nous vantent les mérites d’outils pour tout piloter du sol au plafond, du réfrigérateur à la voiture, du pépé au bébé. Mais est-ce le bon combat ? Notre chroniqueur en a pris mal aux pieds !

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« Mais tu es fou à lier !», me rappelle à l’ordre le redac’chef

Bon, j’ai personnellement fait le même constat que lui depuis longtemps mais, UN, cela ne m’a pas empêché de vivre jusqu’à aujourd’hui, et DEUX, je ne vois pas pourquoi, il me dit cela maintenant. Ok, j’ai les yeux rougis par le décalage horaire, les cheveux en bataille, les vêtements froissés d’avoir eu les genoux sur le menton dans un siège éco d’un long vol intercontinental, mais cela ne justifie en rien ses propos.

Et lui de reprendre : « tu m’avais parlé d’une super chronique sur le CES, la Mecque de l’innovation électronique à Las Vegas, et tu commences par un titre sur tes problèmes de pédicure ».

Dans ce cas, la meilleure tactique c’est le profil bas et de dire « ok, tu as raison, tu n’as qu’à mettre -compte rendu d’activité sur le CES 2019 à Las Vegas-. C’est un peu long, c’est factuel et au moins, on saura pourquoi personne ne va lire ce papier ».

Car qu’est-ce que je peux y faire moi, si le CES est gigantesque. Un salon qui occupe tout un centre-ville, hôtels compris ; dont les halls d’expos sont tellement grands que tu te retrouves totalement dépité, en fin de journée, en te rendant compte qu’après en avoir arpenté un, il y a le même à l’étage du dessus et pleins d’autres ailleurs. Un salon où tu parcours à l’aise tes 20 km par jour parce que tu risques de trouver la pépite que tu attendais dans le lieu le plus improbable, loin des plans sagement ordonnés par thématique de l’organisateur.

Comment il peut comprendre ça, mon redac’chef ? Le CES, c’est autant un job de bagnat que l’éclate totale ! Car de l’innovation, il y en a partout. Des expériences de vie à bord des voitures autonomes, des écrans grands et petits, enroulables ou pliables, des maisons qui savent ce que je veux sans me le demander, des robots qui m’accompagnent dans ma vie de tous les jours, des lunettes pour voir en virtuel et en direct l’autre bout de la planète, des pays qui se bagarrent pour avoir le plus grand nombre de startups et des grands groupes qui montrent à la face du monde qu’ils sont les champions de l’open innovation en accélérant à tout va les dites startup.

C’est cela le CES, et beaucoup plus encore, car il ne faut pas l’oublier, le « S » du CES veut bien dire Show. Un show à l’américaine où Las Vegas, cette ville perdue au milieu de nulle part, est propice à nous envelopper dans une gigantesque bulle de rêve.

Rêve de tous ces milliers de jeunes entrepreneurs qui détiennent l’idée du siècle (forcément !) et qui se voient déjà en nouveau Bill Gates ou Jeff Bezos à force de répondre à longueur de journée aux questions des télés du monde entier. The show must go on !

Rêve d’un monde où le bonheur de l’Humanité passe par une technologie forcément triomphante, gavée à l’intelligence artificielle, au blockchain, à l’IoT, aux OLED et autres jargons tout aussi abscons.

Rêve dérisoire à l’image de tous ces objets indispensables dont on ne savait même pas que l’on pouvait en avoir besoin 5 minutes plus tôt. La sortie de route guette dans ce monde de l’inutile utile, à moins que ce ne soit l’inverse. Alors oui, il y a de l’absolument formidable ici, mais a-t-on besoin d’une roue pilotée pour faire maigrir son chat, d’un ours en peluche connectant votre bébé aux réseaux sociaux ou de la machine à laver les chaussures ?

Au-delà du discours sur les « WOW ! Amazing ! », on oublie ici très facilement la réalité du vrai monde.

A l’intérieur du CES, on nous vante les bienfaits pour la fin d’année, c’est sûr, d’une Terre gavée de réseaux 5G qui veulent tous nous relier à grande vitesse sur la planète entière alors qu’il suffit de franchir la porte pour se rendre compte que la 3G peine encore dans les rues voisines.

A l’intérieur, on montre des technologies toutes plus merveilleuses les unes que les autres mais tellement dévoreuses de la fée électrique. Les « promis-juré » de réduction énergétique drastique s’effondrent à la lecture des spécifications techniques. Au CES, on parle de télé 4K ou 8K mais pas des questions de recyclabilité ou d’empreinte carbone. Le réchauffement climatique ne doit pas franchir les entrées de halls bien climatisés.

A l’intérieur, on nous parle d’hyper-connectivité, de déluges de data pour le bien-être de l’Humanité. Dans d’immenses espaces dédiés, Google, Amazon, et bien d’autres, nous vantent les mérites d’outils pour tout piloter du sol au plafond, du réfrigérateur à la voiture, du pépé au bébé. Mais trouver des conférences sur la protection des données privées relève ici du miracle, genre mission impossible puissance 10.

 

Alors oui, ce CES est extasiant à plus d’un titre et laisse, en même temps, un profond sentiment de malaise comme si ce temple de l’innovation se décalait tous les ans un peu plus de la Société réelle. Le « C » de CES, veut dire consommateur, et il serait peut-être temps de s’en souvenir. Loin d’être un gogo, le « C » est un être sensible et sensé qui pourrait envoyer aux oubliettes tous ces acteurs de l’industrie numérique qui ont voulu croire que son profilage pouvait s’acheter contre quelques menus services ou que sa compréhension des enjeux climatiques était insignifiante et sans intérêt.

Le CES, antre de l’innovation, vit son 21ème siècle comme le vingtième. Et si j’ai un conseil à lui donner, c’est de rapidement changer d’univers au risque de ne pas s’en relever. Franchement ce serait dommage.

Bon, en attendant, j’ai toujours mal aux pieds après ce double marathon parcouru dans le Nevada et je n’ai pas encore commencé ma chronique.

André Montaud

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