L’EUROPE LEADER DE LA ROBOTIQUE DE SERVICE ?

janvier 17, 2018

C’est en Europe qu’il y a désormais le plus de constructeurs de robots de services : 293 entreprises recensées en Europe contre 242 aux États-Unis et 134 en Asie, sur un marché estimé à 5,2 milliards de dollars pour 2017 et qui devrait afficher une croissance annuelle de 20 à 25% par an sur la période 2018/2020. 200 start-up travaillent à la mise au point de robots de service aux États-Unis, 170 en Europe, plaçant la France, en numéro 2 mondial.

Analyse de la situation

Quand on pense robotique, on pense Japon avec les célèbres robots Asimo d’Honda, le chien robot Aibo de Sony et ses nombreux constructeurs de robots industriels, or les derniers chiffres publiés par l’IFR font apparaître que c’est en Europe qu’il y a désormais le plus de constructeurs de robots de services. Avec 293 entreprises recensées en Europe contre 242 aux Etats-Unis et 134 en Asie, le vieux continent fait preuve d’un beau dynamisme sur un marché estimé à 5,2 milliards de dollars pour 2017 et qui devrait afficher une croissance annuelle de 20 à 25% par an sur la période 2018/2020. Une croissance qui suscite des vocations de roboticiens chez de nombreux entrepreneurs. De multiples start-up ont été créées ces dernières années sur cette niche de marché. 200 start-up travaillent à la mise au point de robots de service aux Etats-Unis, 170 en Europe. Si on cumule ces jeunes pousses avec les constructeurs de robots de services déjà établis, la France se positionne en numéro 2 mondial, derrière les Etats-Unis, mais devant l’Allemagne et le Japon !

L’Europe est aujourd’hui bien placée dans cette course à la mise au point de robots de service car l’Union Européenne et les pays membres ont mis en place de nombreux programmes afin de stimuler l’innovation dans le secteur. L’UE a lancé des programmes de soutien à la recherche, des semaines de sensibilisation en faveur de la robotique ainsi que des challenges, à l’image de la European Robotics League (ERL). Ce type de challenge pousse de nombreux étudiants et chercheurs à créer une start-up afin d’exploiter les technologies qu’ils ont développées lors de ces concours.

En outre, les investisseurs qui sont actuellement très impliqués dans les projets numériques se sont enfin intéressés à la robotique de service ces dernières années. On se souvient de la création du fonds Robolution Capital en 2014. Ce fonds de 80 millions d’euros entièrement consacré à la robotique et initialement géré par Bruno Bonnell a aujourd’hui été intégré au fonds 360 Capital Partners. Ce fonds a notamment participé au financement du véhicule autonome Navya. « Il y a un vrai vivier de start-up qui est extrêmement important en termes de nombre d’entreprises et ce vivier est aujourd’hui bien stimulé » estime André Montaud, directeur général de THESAME innovation et du ‎Cluster COBOTEAM. Mais si ce dynamisme de l’Europe est incontestable sur ce secteur de la robotique de service, son poids réel reste faible. L’expert souligne : « Si je partage avec l’IFR l’analyse quant à ce nombre d’entreprises de robotique de service en Europe, quant on évoque le chiffre d’affaires de ces acteurs, il est très difficile d’évaluer la puissance réelle de l’Europe dans ce domaine. Actuellement le marché des robots de services professionnels n’est pas consolidé. L’IFR évalue ce marché entre 5 à 6 milliards de dollars, un chiffre à mettre en regard des 40 milliards de dollars que représente la robotique industrielle. »

L’ECLOSION DU MARCHE DES ROBOTS PERSONNELS ET PROFESSIONNELS

Si pour l’instant la robotique de service pèse beaucoup moins lourd que la robotique industrielle, ses champs d’application sont bien plus larges. La robotique de service a le potentiel pour dépasser à terme la robotique industrielle et peser beaucoup plus lourd dans l’économie mondiale. Pour le grand public, la robotique de service, c’est le robot aspirateur ou le robot-tondeuse à gazon, sans doute des robots cuisiniers et repasseurs de vêtements dans un futur proche. En 2016, ce marché des robots personnels et domestiques représentait 6,7 millions d’unités au niveau mondial, soit un chiffre d’affaires de 2,6 milliards de dollars. Ce marché reste naissant, de même que celui des robots de service professionnels qui, s’il représente près du double en chiffre d’affaires (4,7 milliards de dollars), ne représente que moins de 60 000 robots par an. La logistique représente actuellement l’application de la robotique de service la plus demandée, largement devant la défense, les robots agricoles, les robots dédiés aux relations publiques, les exosquelettes et les robots médicaux. Pour André Montaud, les secteurs de la distribution et de l’industrie sont aujourd’hui très demandeurs en robots de logistique.

« Ces robots qui vont dans les entrepôts et les zones de stockage connaissent un vrai boum aujourd’hui. Viennent ensuite les robots médicaux, un secteur mené par l’américain Da Vinci qui est l’acteur le plus connu, puis la robotique militaire avec des robots et drones de surveillance mais surtout des robots de déminage, des robots d’assistance au combat. »

Jusqu’à présent, on pouvait croiser des AGV (Automated Guided Vehicle) dans les grandes usines d’assemblage automobile pour porter les châssis ou les moteurs vers les chaînes d’assemblage. Le breton BA Systèmes, Balyo ou encore l’allemand MLR se sont spécialisés sur ce marché amené à représenter près de 2,7 milliards de dollars à l’horizon 2022. Depuis les années 80 où elle est apparue dans l’industrie, cette robotisation de la logistique s’est étendue à d’autres secteurs, l’exemple d’Amazon étant le plus significatif puisque le géant du E-Commerce a réalisé l’acquisition du fabricant de robots Kiva Systems dès 2012 et comptait au début de cette année 45 000 robots dans ses centres logistiques. Et si les robots savent se rendre indispensables dans les entrepôts, ce sera bientôt le cas sur la voie publique. Après avoir été testés par l’armée française, les robots suiveurs d’Effidence sont aujourd’hui testés par DHL et les services postaux français et allemands.

La livraison du dernier km suscite la création de plus en plus de start-up dans le monde et en Europe, à l’image de l’estonien Starship Technologies ou encore du lyonnais TwinsWheel. Vincent Talon, le fondateur de la start-up détaille sa stratégie : « Nous visons globalement 3 marchés avec dans un premier temps l’industrie et les bureaux, c’est à dire la logistique sur sites fermés, que ceux-ci soient indoor ou outdoor. Notre deuxième marché sera celui des sites semi-ouverts, qu’il s’agisse des hôpitaux, les centres commerciaux et quartiers privés. Enfin, nous nous attaqueront à la livraison du dernier km, c’est-à-dire la voie publique. » Les dirigeants de la start-up privilégient pour l’instant l’autofinancement de leur projet et ils peuvent s’appuyer sur des parrains de choix puisque Renault va déployer les premiers robots dans ses usines, Siemens dans ses bureaux et la SNCF dans ses ateliers de réhabilitation de trains et enfin Nissan devrait déployer un robot dans ses bureaux californiens. Les premiers robots de présérie seront livrés en novembre 2017 puis présentés lors du CES de Las Vegas en janvier 2018.

LA ROBOTIQUE GAGNE LES CHAMPS

De même que l’Europe de la robotique est plutôt bien placée sur la logistique, il y a un autre secteur de robotique de service qui est très ancien et « traditionnel » et très européen, c’est celui de la robotique de service agricole. On le sait peu, mais la France a cultivé une vraie expertise dans le domaine des systèmes automatiques de traite des vaches. Ces énormes machines sont certes très éloignées de l’image du robot humanoïde, mais elles n’en sont pas moins des robots. Certaines peuvent accueillir plusieurs dizaines de vaches simultanément et assurer les séances de traite de manière automatisée. Une machine Delaval AMR de 24 places sur un plateau rotatif assure jusqu’à 1 600 traites par jour avec ses 5 bras robotiques. « Il s’agit d’un marché historique peu connu du grand public, mais qui est tenu par les européens » explique André Montaud. « Outre cette application de traite, les européens restent très en pointe en robotique agricole, avec des robots de cueillette, de labour ou de surveillance des champs. » Illustration de ce dynamisme, Naïo Technologies, une start-up créée par deux ingénieurs en robotique à la suite de la rencontre avec… un producteur d’asperges. L’idée était de répondre aux problématiques de pénibilité du travail chez les maraichers mais aussi limiter les intrants chimiques en substituant l’épandage d’herbicides par un désherbage mécanique robotisé. « OZ, notre premier robot à propulsion électrique, permet de désherber une parcelle par action de binage » explique Gwendoline Legrand, responsable de la communication de l’entreprise. « Les premiers prototypes ont été testés en 2014 et la commercialisation est effective depuis 2015. OZ était alors le premier robot agricole commercialisé au monde. »

Depuis, Naïo Technologies a vendu 70 robots OZ via le circuit classique des distributeurs de matériel agricole, preuve de la maturité de son robot. Initialement hébergée dans l’incubateur Midi-Pyrénées, la start-up a été créée avec des fonds de type « Love Money » auprès de 40 actionnaires, ainsi qu’une campagne de crowdfunding via la plateforme Ulule. Suite à une seconde levée de fonds réalisée sur les plateformes Wiseed et Smart Angels, le projet de Naïo Technologies a finalement séduit les investisseurs Emertec, CapAgro et le Crédit Coopératif. Cette troisième levée de fonds a reçu le soutien de BPI France et de BNP Paribas. Ces levées de fonds successives ont permis aux ingénieurs de concevoir un deuxième robot plus imposant, DINO, un robot dédié au binage de parcelles supérieures à 10 Ha pour les productions légumières de plein champ. Naïo prépare aujourd’hui avec l’IFV et de laboratoire LAAS du CNRS un robot pour le monde viticole, un robot enjambeur capable de désherber automatiquement 5 Ha de vigne par jour. « Nous nous sommes attaqués au marché mondial dès la fin 2015. Nous sommes présents dans plusieurs pays européens via nos distributeurs spécialisés. C’est actuellement le cas en Allemagne, au Danemark, en Suisse, au Royaume-Uni et en Belgique. En outre, nous avons entrepris un déploiement hors de l’Europe, notamment avec un premier robot vendu en Nouvelle-Zélande et nous venons de signer un partenariat afin d’être commercialisés au Japon. »

LA ROBOTIQUE S'EMPARE DE LA SILVER ECONOMY

Un autre secteur de la robotique de service est amené à connaître une forte croissance dans les années à venir, ce sont les robots médicaux et plus largement tous ces robots d’assistance au personnel médical ainsi qu’aux personnes âgées. Ces derniers devraient largement bénéficier de l’essor de la « Silver Economy ». Le Japon mise beaucoup sur les robots afin d’aider les personnes âgées dans leurs gestes quotidiens. Toyota a récemment dévoilé un tel robot d’assistance mais, là encore, plusieurs start-up européennes sont sur les rangs. Cutii à Roubaix développe un robot destiné aux personnes âgées de plus de 75 ans vivant seules à domicile. « Le projet a été initié suite à un appel à projet d’Eurasanté sur le thème des nouvelles technologies au service du maintien à domicile » se souvient Anaïs Chartier, Business Developer de Cutii. « Nous avons été lauréats et le prix nous a permis de monter un proof of concept auprès d’une quinzaine de personnes âgées. Le succès de ce premier test nous a poussé à concevoir un robot plus adapté à ce besoin. » Un premier prototype a été dévoilé lors du CES 2017 et la start-up a choisi l’industriel qui va produire une première présérie d’une quinzaine de robots. Ceux-ci seront testés entre décembre 2017 et mars 2018, avant une commercialisation espérée en avril/mai 2018. Afin de faire sauter la barrière du coût d’achat de son robot, la jeune pousse a opté pour le modèle locatif. Une personne âgée disposera de son robot à domicile pour 70 euros par mois.

Outre les robots d’assistance au personnel médical qui arrivent peu-à-peu dans les hôpitaux, l’américain Intuitive Surgical s’est déjà imposé dans les blocs opératoires les plus en pointe avec son célèbre robot Da Vinci. Coté au Nasdaq, l’américain s’est déjà livré à quelques acquisitions, mais le marché reste encore très fragmenté et l’arrivée de Google, allié avec Johnson&Johnson pour créer Verb Surgical n’a pas encore eu d’impact. Les robots qui restent encore très spécialisés, avec des robots conçus pour une procédure médicale précise. Ainsi, Bertin Naoum et sa société Medtech se sont fait un nom avec le robot Rosa conçu pour la neurochirurgie et de son côté Michel Berg, co-fondateur et PDG d’Axilum Robotics a mis au point un robot dédié à la stimulation magnétique transcrânienne. « C’est une technique de neurostimulation qui est habituellement réalisée manuellement, en positionnant une robine reliée à un générateur de champ magnétique sur la tête du patient. Nous avons développé un robot en nous appuyant sur une preuve de concept du laboratoire ICube à Strasbourg. Ce robot automatise ce positionnement via un système neuro-navigateur qui s’appuie sur une caméra et les images IRM du patient. Nous avons été les premiers au monde à automatiser cette procédure pour traiter des patients. » Outre le soutien des collectivités locales, de la région et de la ville de Strasbourg, le projet a bénéficié d’un financement par le FUI (fonds unique interministériel) ainsi que de Fonds européen de développement régional (FEDER). Le robot est commercialisé depuis 2014 et il sera en service dans 13 centres médicaux d’ici la fin de cette année. 5 robots ont été vendus en France, contre 12 à l’étranger, preuve du dynamisme de la start-up à l’export. « L’international est très porteur pour nous, en particulier les Etats-Unis qui est un marché porteur pour nous car la procédure est d’ores et déjà prise en charge par les assurances santé privées. Nous comptons nous y faire une place avec la deuxième version de notre robot qui sera bien adaptée au marché américain. » Une nouvelle version de conquête pour la start-up et qui sera lancée fin 2018.

Robotique

Humanoïde travaillant sur écran

COMMENT EVITER LE SYNDROME ALDEBARAN ?

Si l’Europe compte incontestablement de nombreux ingénieurs de talent et d’entrepreneurs ambitieux dans le domaine de la robotique de service, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir si les entrepreneurs européens qui ont développé cette excellence technologique pourront « passer à l’échelle » et grossir au fur et à mesure que leur marché va s’élargir au niveau mondial. L’exemple d’Aldebaran est édifiant sur ce plan puisque le créateur de Nao a du attendre d’être racheté par le japonais Softbank pour voir un de ses robots, le Pepper, enfin produit en grande série. Beaucoup de start-up cherchent aujourd’hui à rivaliser avec Aldebaran sur ce marché des robots de relations publiques. Si les français Hease Robotics ou EventBots veulent relever le gant avec des robots d’animation de leur conception, aucune start-up française ne peut aujourd’hui se targuer de pouvoir produire ses robots par dizaines de milliers comme c’est désormais le cas de Softbank Robotics.

Les concepteurs de robots européens devront-ils aller en Asie pour produire leurs robots en nombre ? Actuellement, beaucoup de start-up françaises misent sur une production Made in France. C’est le cas de Naïo Technologies qui a choisi d’internaliser la fabrication de ses robots, une stratégie qui a récemment poussé l’entreprise à déménager afin de disposer d’un atelier plus grand afin de faire face à la montée en charge de sa production. « Nos robots sont produits à côté de Toulouse, au siège de l’entreprise » explique Gwendoline Legrand de Naïo Technologies « Nous avions saturé nos capacités de production, ce qui nous a poussé à déménager afin de disposer de surfaces d’ateliers bien plus importantes. Notre démarche est de privilégier une fabrication locale et nous n’avons aucune ambition de délocaliser notre production car nous avons une démarche RSE très forte qui nous pousse aussi à privilégier les fournisseurs les plus proches de nous. »

VERS UNE INDUSTRIALISATION DE LA ROBOTIQUE DE SERVICE ?

De son côté, si Cutii a préféré externaliser la production de ses robots, là encore, une production nationale a été privilégiée : « Nous avons sourcé les industriels susceptibles de produire notre robot au niveau européen et nous avons été agréablement surpris de recevoir la proposition d’un industriel français qui était compétitif en termes de coûts » explique Anaïs Chartier. « Il faut bien savoir que faire produire en Asie notamment présente des contraintes fortes en termes de délais d’approvisionnement, de contrôle qualité, sans compter la barrière de la langue. Enfin, l’Asie est un gros concurrent pour nous donc nous avons fait le choix de la proximité et de faire produire nos robots en France. » L’Europe a démontré qu’elle est compétitive en matière d’innovation et de création d’entreprises sur ce secteur nouveau de la robotique. Saura-t-elle maintenant passer le cap de l’industrialisation ? Le futur de la robotique de service européenne se joue maintenant.

 

Alain Clapaud pour l’ATELIER BNP
Journaliste

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