Pas de santé, sans santé mentale !

novembre 4, 2022

La préoccupation pour les questions de santé (qu’il s’agisse de maladies somatiques, des troubles psychiques ou même plus globalement du bien-être) renvoie à des enjeux qui se situent tant au niveau des individus que des collectifs. L’Université Savoie Mont Blanc (USMB) et la Fondation USMB s’engagent dans cette voie à travers un projet de Chaire partenariale, croisant les expertises scientifiques au service du bien-être et de la santé mentale, avec le soutien de THESAME.

Il est aujourd’hui assez bien détaillé que la dégradation des états de santé présente de nombreuses conséquences, tant au niveau du ressenti des individus concernés et de leurs proches, qu’au niveau des coûts économiques et sociaux.

Santé mentale

Comment définir la santé, la santé mentale et le bien-être ?

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2007) a érigé la santé mentale, le bien-être et les troubles psychiques, au rang de priorité, indiquant qu’il ne pouvait pas y avoir de bonne santé sans intégrer les problématiques de santé mentale (« No Health Without Mental Health »[1]). Traitée comme une grande cause mondiale, au même niveau que le VIH ou la mortalité infantile, la santé mentale fait partie des thématiques sanitaires encore parfois mal connues, cibles de préjugés néfastes aux actions individuelles et collectives (tenus pour responsable de retards de dépistage et de prise en charge, aini que d’exclusion sociale).

La santé est un état complet de bien-être physique, mais aussi mental et social. Dans le préambule de sa Constitution (datant de 1946), l’OMS précise qu’être en bonne santé ne peut uniquement se résumer en une absence de trouble, de maladie ou d’infirmité. Elle indique également qu’il est essentiel que tous les peuples accèdent aux bénéfices des connaissances médicales mais aussi psychologiques et apparentées (sollicitant ici grandement l’approche de sciences humaines et sociales) pour atteindre les plus hauts niveaux de santé. Au début du XXIe siècle, une définition dédiée à la santé mentale (OMS, 2021). Il s’agit d’un « état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté ».

Santé Publique France[2] expose une définition de la santé mentale reposant sur trois dimensions. Ces trois dimensions sont la santé mentale positive (faisant pour grande partie référence au bien-être), la détresse psychologique en lien avec les évènements de vie et l’exposition à des stresseurs (ne constituant pas de trouble mais pouvant évoquer un risque pour plus tard), et enfin les troubles psychiques. Ces troubles comportent une certaine hétérogénéité en termes de durée, intensité et retentissement ou handicap.

Quelle place pour la médecine et plus spécifiquement la psychiatrie ?

Si l’évocation de la santé mentale est associée au bien-être, elle est aussi liée à la psychiatrie. Bruno Falissard (2020), spécialiste de Santé publique et biostatisticien, directeur du Centre de recherche en Épidémiologie et Santé des Populations (CESP) à l’INSERM et lui-même psychiatre suggère qu’une représentation en « continuum » de la santé mentale allant du bien-être à la souffrance et à la psychiatrie est probablement inadéquate[3]. En effet, ce continuum serait problématique car il néglige la complexité des situations de santé mentale où ne font pas que s’opposer « bien-être et satisfaction de vie » d’une part et « détresse et troubles psychiques » d’autre part. En outre, cette approche sous-entendrait que les professionnels de la médecine psychiatrique[2] auraient pour rôle de diagnostiquer et de soigner des troubles psychiques mais également d’avoir la charge du bien-être (défini par la réalisation de soi, la productivité, voire le bonheur). Cela soulève alors également des questions d’ordre déontologique et éthique. Bruno Falissard plaide pour que cette perspective ne soit pas du ressort de la médecine, mais d’une action plus globale.

Un état d’urgence pour la santé mentale ?

La santé mentale occupe une place particulière dans le champ des problématiques sanitaires. En effet, plusieurs enquêtes épidémiologiques conduites depuis les années 2000 ont renseigné sur l’altération de la santé mentale des populations, en France comme à l’international. Paradoxalement, la répétition des études épidémiologiques et cliniques sur les troubles psychiques, ainsi que la recherche dans les domaines des thérapies et de la prévention ne parviennent pas encore à endiguer le phénomène parfois qualifié « d’épidémie » en santé mentale. Cela s’explique probablement en partie car la prévention relève d’un temps long. Les modèles et pratiques méritent également d’être interrogés et mis à jour de manière impérieuse. En effet, les données issues de deux décennies de recherche indiquent que l’altération du bien-être et les forts taux de troubles psychiques dans la population générale (anxiété et dépression en premier lieu) représentent une charge très importante pour le système de santé et constituent des postes de dépenses considérables. Le phénomène étant perçu comme stable voire croissant, il devrait appeler à un véritable sursaut en matière de recherche et innovation, mais également au niveau des politiques de santé.

En Europe, une personne sur 4 est directement concernée par les problématiques de santé mentale au cours de sa vie. En France plus spécifiquement, les symptômes dépressifs concerneraient 8 à 10% des personnes âgées de 15 à 85 ans, et la mortalité attribuée au suicide serait 2 à 3 fois plus élevée que celle enregistrée avec les accidents de la route. Ces données sont pour partie fondatrices d’une Feuille de route en Santé mentale et psychiatrie[3] proposée en 2018 par le Ministère de la santé. Pour cause, le coût économique et social annuel des troubles mentaux était estimé en 2019 à 109 milliards d’euros, dont près de 65 milliards pour la perte de la qualité de vie et 24 milliards pour la perte de productivité liée au handicap et aux suicides. Les troubles mentaux se classent au premier rang des dépenses du régime général de l’assurance maladie par pathologie (avant les cancers et maladies cardio-vasculaires).

Santé mentale pendant et après le COVID-19 : un autre état d’urgence ?

Dans le contexte de la crise sanitaire de la COVID-19 et de ses conséquences, la santé mentale a bénéficié d’un « coup de projecteur » sans précédent. Aux côtés des messages élaborés par Santé Publique France rappelant des règles d’hygiène et les comportements sociaux nécessaires à la lutte contre le virus, des spots radio – télé et supports digitaux ont été proposés de manière inédite sur la santé mentale (« En parler, c’est déjà se soigner »). Cependant, il convient de rappeler que la connaissance de l’ampleur des phénomènes et des enjeux ne sont pas nouveaux, tout comme l’implication de chercheuses et de chercheurs, en sciences humaines et sociales (e.g. psychologie, économie, droit) et bien évidemment en sciences de la santé et du vivant. En dehors de la phase épidémique, Santé Publique France rapportait des taux de symptômes dépressifs et anxieux déjà importants dans la population générale (respectivement 9,8% et 13,5%) dans une enquête menée en 2017. L’étude COVIPREV conduite en lien avec la crise sanitaire a présenté en mai 2022 des scores plus élevés que ceux observés dans la phase anté-COVID (respectivement 15,1% et 25,4% de signes d’états dépressifs et anxieux). Une mesure assimilable au concept de bien-être portant sur la « perception positive de sa vie » présente un score de relative satisfaction pour 81% des françaises et français interrogés. Cet indicateur a connu des baisses de 4 à 5 points durant les confinements et restait en 2022 environ 4 points plus bas que le niveau mesuré hors épidémie. A cela s’ajoutent les indicateurs perturbés à propos de la qualité du sommeil et la présence d’idées suicidaires (ayant des écarts respectivement de 18 et 7 points en comparaison avec les données obtenues hors épidémie).

S’engager en faveur de la recherche sur le bien-être et la santé

Œuvrer pour la santé mentale (comme la santé en général), conduit à agir pour aller au-delà de la seule absence de troubles et de difficultés psychologiques. A l’instar d’autres problématiques de santé, il s’agit de s’engager dans ce qui s’apparente parfois à un changement des pratiques consistant à aborder la santé mentale de manière pluridisciplinaire (au-delà de la médecine psychiatrique) et en investissant le domaine de la prévention, y compris sur un versant positif (Carré et al., 2021[4]). Il existe des moyens d’identifier, protéger et prévenir mais aussi de rétablir la santé mentale. Les connaissances ont considérablement avancé ces dernières années, mais de nombreuses questions restent ouvertes pour comprendre les raisons de si fortes fréquences des troubles mentaux, leurs facteurs déclencheurs, ainsi que pour conduire et évaluer des stratégies thérapeutiques et préventives fondées et probantes.

Il est important de rappeler que l’étiologie de la santé mentale et de ses troubles est multifactorielle. Cela signifie que la cause des difficultés comme des bonnes capacitiés d’adaptation n’est pas le fait d’un seul élément, mais la combinaison de plusieurs. L’approche est dite bio-psycho-sociale, insistant sur le fait que la santé mentale et les troubles psychiques sont déterminés par des facteurs à la fois socio-économiques, environnementaux, psychologiques (incluant la cognition, les affects et les comportements) et biologiques. Les récentes travaux en sciences psychologiques suggèrent une mise à jour des conceptualisations des troubles psychiques, plaçant au premier plan des facteurs causaux des processus psychologiques eux-mêmes influencés par des facteurs socio-environnementaux, biologiques et les expériences de vie. Cette « approche processuelle » constitue un véritable changement de point de vue, décentrant d’une approche prioritairement biologique et médicale dans le modèle biopsychosocial. Elle représente un intérêt majeur pour mieux comprendre les facteurs causaux et pistes d’accompagnement centrés sur le fonctionnement psychologique. Nous suggérons qu’elle apporte une partie de réponse, au côté d’autres modélisations, aux défis qui existent dans le champ de l’épidémiologie et la prévention en santé mentale.

Le projet de Chaire Bien-être, Santé et Territoires (BEST), que nous portons, propose de s’engager dans la sensibilisation, la recherche et l’innovation en santé mentale. Ainsi, la Chaire BEST propose de porter trois grandes missions :

  • Une recherche d’excellence pour mobiliser acteurs publics et privés pour accompagner un projet scientifique et aider à la décision,
  • Un observatoire pluridisciplinaire du bien-être et de la santé mentale pour récolter des données probantes et innovantes, afin de permettre une meilleure compréhension des déterminants du bien-être et de la santé mentale,
  • Des propositions d’accompagnements pour transférer des pratiques et aider les professionnels à monter en compétences en faveur de la promotion du bien-être et la prévention des altérations de la santé mentale.

Nous portons un projet qui participera à comprendre les processus impliqués dans la préservation et la dégradation de la santé mentale et du bien-être, la stigmatisation mais aussi les démarches diagnostiques, la prévention et l’accompagnement du changement. Ces éléments sont à étudier en lien avec les territoires, afin de mieux comprendre l’impact des environnements (physiques, sociaux, économiques ou bien encore culturels) sur le bien-être et la santé mentale.

 

Arnaud CARRÉ – Responsable scientifique de la chaire BEST

Psychologue clinicien et docteur spécialisé en psychopathologie cognitive et neuropsychologie, sa formation post-doctorale s’est poursuivie en santé publique et sur les processus psychologiques à l’INSERM, puis lors de son recrutement au sein du Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie (LIP/PC2S, Université Savoie Mont Blanc et Université Grenoble Alpes). Maître de Conférences Habilité à Diriger des Recherches à l’USMB, son activité de recherche porte l’investigation de processus bio-psycho-sociaux
impliqués dans la régulation des émotions et la caractérisation de ces perturbations
dans la santé mentale. Arnaud CARRE est responsable du LIP/PC2S à l’USMB et psychologue-psychothérapeute enregistré auprès de l’Agence Régionale de Santé.

 

Renseignements et informations sur la chaire BEST

Corinne BOURGEOIS – Thésame – ci@thesame-innovation.com

Cécile DECHAND – Fondation USMB – cecile.dechand@univ-smb.fr

la chaire best

 


 

[1] https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/developpement-de-l-enfant/soigner-la-souffrance-psychique-des-enfants_9782738150950.php

[2] L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) indique la définition suivante : la psychiatrie est la discipline médicale traitant de la ou des maladies mentales, quelles que soient leurs causes, psychiques, neurologiques ou psychosociologiques.

[3] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/180628_-_dossier_de_presse_-_comite_strategie_sante_mentale.pdf

[4] Carré, A., Shankland, R., Flaudias, V., Morvan, Y., & Lamboy, B. (2021). Les Psychologues dans le champ de la Santé Mentale : les perspectives en Promotion de la Santé Mentale Positive. Pratiques Psychologiques, 27, 71-84. https://doi.org/10.1016/j.prps.2018.11.009.

[1] https://www.who.int/teams/mental-health-and-substance-use/world-mental-health-report

[2] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale

Partagez l’info sur vos réseaux !

Ces actualités pourraient également vous intéresser :

Touche Entrée pour lancer la recherche et Esc. pour fermer