[Propos de Chercheurs]
C’est fondamental chez l'être humain d'être rassuré

avril 22, 2021

« Le pic de la crise de santé mentale arrivera très probablement après la crise biologique de la Covid-19 »

En partenariat avec la Fondation Université Savoie Mont-Blanc et le pôle Mont-Blanc Industries, découvrez les propos d’Arnaud Carré, docteur en psychologie.

Voici plus d’un an qu’a débuté la crise sanitaire liée à la Covid-19 en France. A-t-elle d’ores et déjà eu un impact au niveau de la santé mentale des individus ?

Nous avons encore du mal pour l’instant à mesurer concrètement et à évaluer la totalité des effets de cette crise.  Dans des pays mieux équipés en termes de veille sanitaire en santé mentale comme l’Australie ou les Etats-Unis, il ressort à court terme des premières études une hausse des épisodes neuropsychiatriques comme les troubles dépressifs, anxieux, les épisodes de stress, les insomnies, les altérations cognitives (attention, mémoire) …

Et en étudiant la manière dont se sont déroulées d’autres pandémies, les données soutiennent l’existence d’une problématique de santé mentale en plus de la problématique liée aux virus. La dimension psychopathologique de la crise se manifeste à distance, en rebond.

Constatez-vous quand même d’ores et déjà des effets ?

Nous distinguons deux niveaux pour ce qui est de l’effet de la crise actuelle sur la santé mentale : l’impact de la peur du Coronavirus (sa contagiosité, sa létalité, son instabilité…) et l’impact de toutes les mesures barrières prises autour pour lutter contre ce virus encore difficile à maîtriser (confinement, chômage partiel…).  C’est quelque chose qui pèse d’ores et déjà beaucoup sur le bien-être et la santé mentale, et qui est majoré par les difficultés économiques et sociales, ou bien encore les activités sportives et culturelles, devenues temporairement inaccessibles.

Une récente série d’études, notamment parues dans la revue The Lancet Psychiatry, rapporte que les troubles dépressifs, anxieux et liés au stress sont plus importants chez les patients qui souffrent de la Covid, et plus encore chez ceux qui cumulent maladie et difficultés socio-économiques. Il s’agit donc d’un véritable enjeu aujourd’hui que de conduire des études épidémiologiques qui modélisent pleinement les facteurs capables d’impacter la santé mentale, dont les aspects socio-économiques. Nous nous engageons dans cette voie au laboratoire.

Par ailleurs, nous constatons aussi des affects négatifs corrélés à la peur du virus et qui semblent toujours bien présents avec de nouveaux facteurs dont il faut tenir compte depuis “la première vague”, comme l’apparition des variants, l’hésitation vaccinale… La vaccination créé l’espoir, mais suscite également des interrogations et inquiétudes. Nous pourrions ici formuler l’hypothèse que cela reflète des inégalités importantes en termes d’éducation, notamment à la santé et à la démarche scientifique.

Cette crise a accéléré la mise en place du télétravail et des relations à distance, mais aussi le repli sur soi, la recherche d’une sécurité à tout prix… Ne perdons-nous pas ainsi en esprit collectif ? 

 Cette crise est également une source de constats de paradoxes.  Pour plusieurs disciplines scientifiques, dont les sciences psychologiques, la pandémie représente un laboratoire à ciel ouvert. Elle donne accès à la complexité de phénomènes individuels et sociaux, tout comme  à ce qui relève de l’adaptation et de la résilience.

Par exemple, la pandémie a permis de développer, voire de réinventer, des pratiques comme le télétravail dans de nombreux domaines. L’université, qui s’est transformée pour tout ou partie de ses activités en établissement académique distanciel, en est une illustration. La période que nous traversons a ainsi favorisé la découverte de nouveaux outils dans le domaine du numérique, elle a aussi parfois rendu les individus davantage maîtres de la gestion de leur temps et de leurs tâches. Elle semble permettre aussi de mettre en place de nouvelles manières de gérer les groupes ou d’instaurer de la cohésion. Dans les premiers retours d’ordre qualitatif, les collectifs paraissent rester assez soudés malgré la distanciation physique.  Mais il manque à ce jour, des vraies études d’impact sur ces pratiques, et plus spécifiquement sur les impacts en termes de qualité des relations interpersonnelles et leur régulation. A plus long terme, il s’agira aussi de mieux décrire et quantifier les effets des sentiments d’isolement et le repli sur soi.

Vous estimez que « la crise en santé mentale arrivera très probablement après la crise biologique de la Covid-19 ». Comment pourrait-on agir dès à présent pour améliorer la situation ?

L’impact de tout le contexte qui entoure la crise virologique est aujourd’hui considéré comme potentiellement aussi important voire plus important que l’impact du virus lui-même. A ce stade, les estimations formulées indiquent que les perturbations psychologiques pourraient impacter un grand nombre d’individus et ce, sur une durée potentiellement plus longue que ce provoque le virus en tant que tel.

Le rapport à l’incertitude est parfois tel que des personnes qui étaient peu favorables aux mesures barrières instaurées par les autorités gouvernementales en viennent à les plébisciter. Plus nous avançons dans l’expérience de la crise sanitaire, plus nous avons une connaissance de l’efficacité des mesures possibles. Nous avons aussi besoin d’avoir des perspectives, et leur absence participe à un sentiment d’épuisement. Contourner l’évocation des incertitudes et des aspects négatifs peut paraître réconfortant à très court terme, mais pourrait s’avérer néfaste à long terme. Rien de mieux que de dire la vérité sur notre état de fonctionnement, même incertain, ainsi donner une échéance temporelle raisonnable à court terme…

En résumé il est important de donner un cap qui permet à chacun de savoir où l’on va, de réduire ainsi son niveau d’incertitude et de lui permettre de mieux gérer ses pensées et ses émotions. L’inverse peut participer à un climat de désespoir. C’est fondamental chez l’être humain d’être rassuré et de trouver des occasions de ressentir du plaisir dans son existence. Cela passe parfois par la mise en place d’objectifs atteignables (et qui peuvent paraître modestes), dont une satisfaction sera accessible à leur accomplissement.

Arnaud Carré, maître de conférences au département de Psychologie, docteur en Psychologie, psychologue spécialisé en psychopathologie et en prévention au Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie – Personnalité, Cognition, Changement Social (USMB, Univ. Grenoble Alpes, EA4145) dont il est le directeur adjoint.

Vous souhaitez poursuivre le sujet ?

Arnaud Carré et Sonia Pellissier, animeront un webinaire le 29 avril sur le thème 1 an de crise sanitaire et psychologique, que reste-t-il de nos collectifs ?

Soigner les maux avec des mots : Propos de chercheurs

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