Ces 60 centimètres
qui ont tout changé...

avril 24, 2019

Il y a des soirs où vous rentrez éreinté du boulot. Besoin de calme, de sérénité … et d’une bonne bière bien fraîche. Besoin de se laisser aller.

Ce lundi soir, j’étais dans cet état-là, la bière en moins, mais avec une sacrée envie de pizza. Et l’écran s’alluma. Rouge, jaune, orangé. Devant moi, dansait l’indescriptible, l’improbable vision d’une charpente multi-centenaire en feu.

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Des flammes guidées par un doigt de bois et d’acier montaient avec ardeur vers le ciel.

Et là, mon gars, sans que tu n’y prennes garde, sans que tu comprennes pourquoi, ta gorge se serre, tes yeux se remplissent de larmes. La fatigue sans doute.

Alors tu zappes, de chaines d’infos en boucle en émissions spéciales. Tu uses ta box à force d’aller voir ailleurs des images toutes identiques d’un monde qui part en fumée. Tes neurones ne peuvent s’empêcher de connecter cette flèche qui casse et tombe comme au ralenti avec ces tours du 11 septembre qui descendaient lentement sur elles-mêmes dans un déluge de feu et de poussières.

Ta fatigue : elle n’existe plus. Ton besoin de pizza : oublié. Tu veux savoir. Tu as des solutions toutes faites. « Envoyer des Canadairs » pour tout noyer sous une tempête d’eau. Mais ton cerveau d’ingénieur reprend le dessus. Des tonnes de liquides qui déboulent à 300 km/h, c’est une énergie folle à faire s’effondrer cette vénérable dame.

Alors tu te dis que tu dois tenter de comprendre, aller fouiller les rares infos pertinentes au milieu de la fange des pseudo-experts des réseaux sociaux. Mais celles-ci sont plus rares encore que tu ne le pensais, car ceux qui pourraient les générer sont engagés dans une guerre du feu sans merci. Privilégier l’action aux mots : une communication de crise, minimaliste et factuelle. Loin des commentaires des commentateurs se commentant eux-mêmes, les propos du commandant des sapeurs-pompiers font l’effet d’un îlot de sérieux et de maîtrise de soi dans un océan de stress, d’émotion et de paroles insipides.

L’info, la vraie, la bonne, celle qu’il faudra retenir, elle est venue bien après, avec la découverte des moyens exceptionnels mis en œuvre : des drones qui permettent de suivre l’avancée du feu en direct. Un robot français de 500 kg, Colossus, entré dans le cœur de Notre Dame pour refroidir l’édifice sous une pluie de plomb fondu. Des pompiers dessinateurs opérationnels qui, en un croquis 3D, synthétisent l’information pertinente pour une bonne compréhension de la situation : du véritable management visuel en situation de crise.

Mais l’essentiel est une nouvelle fois ailleurs. Dans des propos prémonitoires, le commandant de la BSPP rappelait : « J’aborde cette fonction avec beaucoup d’humilité car mon expérience opérationnelle me rappelle à quel point rien ne peut être accompli sans un collectif fort et une confiance partagée. »

Et il en a fallu de la confiance, lorsqu’il a été décidé de n’envoyer que les justes quantités d’eau pour ne pas noyer l’édifice et le déstabiliser, lorsque la lutte pour la charpente a été abandonnée pour se concentrer sur celle du beffroi Nord ou lorsque les pompiers se sont engagés dans les escaliers en colimaçon, de 60cm de large, avec leur lourd matériel et les tuyaux pour attaquer le feu de l’intérieur : « à partir du moment où on perdait la guerre du beffroi, on perdait la cathédrale ». Ces 60cm de vie ont sauvé bien plus qu’un patrimoine de notre Humanité.

Tout cela, aucune image ne l’a montré ni en direct, ni en différé mais ce fut probablement une des plus belles leçons de management qui puisse exister alliant la maitrise des procédures, l’expertise et l’agilité. Partager les RETEX (retours d’expérience) de ce feu du siècle serait d’une inestimable valeur pour le management de nos entreprises en situation de crise. C’est aussi cela l’innovation. Savoir transférer vers d’autres domaines des méthodologies précieuses.

Mais au-delà de l’exploit, on découvrira demain que ce n’est pas le bâtiment qui était sublime, mais avant tout les liens qu’il engendrait, la relation à lui et à travers lui, aux autres et à notre histoire. Comme si la quête de sens de nos sociétés modernes retrouvait, dans ces vieilles pierres, les fondations de notre Futur. 60 cm de vie qui ont peut-être changé notre façon de voir le Monde.

 

André Montaud

am@thesame-innovation.com

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