[Chronique innovation]
Quand les digues craquent...

février 20, 2020

AVERTISSEMENT IMPORTANT : Ne lisez pas cette chronique si vous êtes en état de dépression potentielle, latente ou assumée. Elle peut être dangereuse pour votre santé mentale. Bon, d’accord, je sais que vous allez maintenant foncer dessus. Mais je vous aurai prévenu au moins.

– Bonjour X234732

La voix métallique résonne en même temps que s’ouvre la porte vitrée. A l’intérieur, une simple table et une chaise m’invitent à prendre place.

– X234732, vous avez enfreint divers règlements. Le 10 janvier vous avez traversé à 2m54 d’un passage clouté. Le 14 et le 22 du même mois, votre vitesse sur route a été supérieure de 3,15km/h à celle autorisée. Le 28, au restaurant ABT917 vous avez mangé une pizza 4 fromages ET une mousse au chocolat, compromettant gravement votre taux de glycémie.

La litanie des reproches continuait. J’écoutais sans broncher. A quoi bon. Les systèmes de surveillance électronique étaient tellement développés que même dans ce petit hameau perdu au fond des montagnes où j’avais trouvé refuge, mes « infractions » étaient scrupuleusement codifiées. La voix robotisée me sortit de mes réflexions :

– En conséquence, vos droits de citoyens sont ramenés du niveau 7 au niveau 4, réduisant vos capacités de déplacement à un rayon de 100 km pour une durée de 1 an. Votre régime va être piloté lors de vos achats alimentaires afin de garantir votre santé. Vous ….

Je me réveillais brusquement en sueur.

Non, je n’étais pas encore dans ce monde où la technologie maîtrisait mes désirs. Et pourtant ! Telle une hydre sournoise, elle se faufile dans tous nos interstices de temps privé. Regardez le smartphone, fabuleux outil qui nous donne accès à toute la mémoire du monde : il est notre savoir comme nous sommes le sien. Son GPS, qui nous évite les bouchons, nous trace, autant que nous traçons les autres. Nos surfs sur internet donnent une image précise de nos habitudes de consommation. Les délicieux cookies anglais, une des rares réussites de la gastronomie anglaise avec la bière, la viande bouillie à la menthe et le cheddar, se transforment ici en petits cailloux qui suivent mon chemin digital : une peste aussi difficile à éliminer numériquement que les pissenlits de ma pelouse.

Mais tout cela ne serait pas bien grave si la biométrie ne menaçait pas l’intégrité privée de notre corps. Débloquer son téléphone, il n’y a pas si longtemps, se résumait à taper 4 chiffres pas trop difficile à retenir. Puis est venu le temps du zigzoui sur un carré de 3 par 3 ou 4 par 4. Plus visuel, plus rigolo et un peu plus sécuritaire.  Aujourd’hui, on s’extasie sur l’efficacité plus ou moins grande du lecteur d’empreinte digitale et on parle déjà, pour les smartphones haut de gamme, de l’utilisation de la caméra frontale pour une mise en route par reconnaissance faciale. Facilité (ou paresse) absolue. Là, c’est promis, juré, craché, les grands des télécoms nous assurent que nos données resteront cachées pour TOUJOURS au cœur de la mémoire de notre doudou communiquant. Croix de bois, croix de fer. Mais en est-on si sûr ? Que ne clique-t-on pas dans ces conditions de ventes imbittables aux 30000 articles ? Qu’arriverait-il si demain, ces données si personnelles partaient dans le cloud ? Ou pire, dans des serveurs plus ou moins bien intentionnés ?

Bon ! Aujourd’hui, même si les systèmes de reconnaissance faciale sont de plus en plus performants ils boguent encore. Si vous êtes une femme, de couleur de surcroit, vous avez plus de 20% de chances de passer au travers des mailles du filet. La cause :  les systèmes d’entrainement des logiciels utilisent des bases de données super enrichies en mâles blancs. Mais dans quelques mois, ou au plus dans quelques années, il deviendra quasi impossible de leur faire croire qu’un hippopotame est une girafe et réciproquement. « Mais tu me fais flipper, chroniqueur que j’ai connu plus joyeux. Chez nous, dans le monde occidental, ce n’est pas pareil… Hein ? »

C’est ce que je croyais. Et pourtant. Rares sont les médias qui se sont emparés du sondage international réalisé par l’IPSOS pour le compte du WEF (ou Forum de DAVOS si on veut parler populaire). Son thème : l’opinion des citoyens face à l’utilisation de la reconnaissance faciale et de l’intelligence artificielle par les Etats. L’échantillon était conséquent : plus de 19000 personnes de 18 à 75 ans dans 26 pays. Autant dire une belle base statistique. Et qu’apprend-on ? Qu’il y a plus de monde qui accepterait l’utilisation de la reconnaissance faciale en toute circonstance (19%), que de personne la refusant afin de garantir la vie privée (16%). Malaise.

Bon, je me suis dit : « C’est parce que les personnes ne connaissent pas les excès potentiels de la techno ». Paf ! Nouvelle baffe : plus on est éduqué et plus on l’accepte … et les mecs bien plus encore que les nanas (elles sont toujours plus lucides). Alors je me console en me disant que 65% souhaiteraient une utilisation uniquement dans des situations exceptionnelles très encadrées. Mais que va-ton faire si le système est en place. Le démonter ?

Depuis, je suis morose. Quand les digues de la civilisation craquent aussi subtilement devant la technologie, il y a comme un relent de Ray Bradbury. Et pas sûr que cela me fasse très envie, moi qui aime tant le « hors cadre ».

 

André MONTAUD

am@thesame-innovation.com

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