[Chronique Innovation]
Des pommes, des poires et des scoubidous !

novembre 12, 2020

Bon Ok, je sais que mon redac’chef a failli s’étouffer à la lecture du titre. Mais vous ne seriez déjà plus là si j’avais écrit : petit traité de géologie à l’usage des révolutions industrielles modernes. C’est comme dans la vie, il faut faire des compromis : quelques cheveux blancs en plus dans la rédaction ou des dizaines de lecteurs en moins !  Mais quelle idée aussi de me proposer un challenge aussi ésotérique : revisiter en 3500 signes, l’évolution de nos usines depuis le baby-boom.

Le flash m’est venu lors d’une randonnée, en regardant les plissements rocheux, tous différents, qui se superposent et finissent pas former de fabuleux sommets. « Mais c’est bien sûr ! » me dis-je dans un réflexe d’Hercule Poirot, économico-innovateur.  « C’est comme un gât’olala : chaque couche de chocolat est délicieuse mais leur superposition devient explosive, en contribuant à la construction des saveurs ».  Penché sur mon ordi, je tente fébrilement l’aventure périlleuse de réinventer le cambrien, le jurassique et autre holocène en mode robotique, cambouis et autre roulement.

Les années 60 sont l’ère du Bouvart et Rattinet, un petit bouquin jaune à la forme longiligne, qui, associé à la règle à calcul a donné libre cours à l’imagination de l’ingénieur roi. On ose tout : envoyer des hommes dans la Lune, inventer la voiture populaire, qu’elle s’appelle 4L ou coccinelle, ou construire un supersonique civil transatlantique… sans trop regarder à la dépense. Normal, on est à fond dans les 30 glorieuses.

L’ère des déprimes caractérise la décennie suivante. Un gros coup de tonnerre qui marque la fin d’une époque. Avec les chocs pétroliers, on se met à broyer du noir. Les indicateurs financiers s’affolent. Il faut trouver des économies. L’industrie commence à penser délocalisation…mais encore à petite dose.

Les années 80 voient naitre l’ère de la pomme. La révolution du numérique entre dans l’industrie avec les premiers PC d’IBM et les Apple II. Le patron, c’est l’informaticien, maitre du système. C’est aussi l’heure du Far-West chez les éditeurs de logiciels qui se lancent dans l’aventure, parfois pour 2 ou 3 clients. Cette vague se fracassera sur le bug de l’an 2000, un fantasme de l’époque, qui a démarré la consolidation du secteur, accéléré la croissance d’Internet et a vu naitre les géants GAFA.

L’ère des Muda qui débute vers 1990, fait faire un régime drastique à l’industrie avec un concept japonais, le TPS, que les américains, férus de marketing rebaptise du nom de Lean manufacturing. L’atelier se couvre d’indicateurs, de process, d’outils de pilotage. On croit découvrir le graal de la qualité et de la performance, en oubliant, bien trop souvent le côté humain qui était pourtant dans la philosophie de Taiichi Ohno. Il faudra plus de 20 ans de déshérence pour que le Lean voyou soit enfin compris comme un fabuleux outil d’intelligence collective.

2000 marque le début de l’ère Excel. Le pouvoir passe aux contrôleurs de gestion. C’est l’externalisation à-tout-va des services et les délocalisations vers les pays low cost. Le dogme du fabless, l’entreprise sans usine, continue ses ravages encore aujourd’hui. Perdre une usine c’est perdre tout un savoir-faire pourtant essentiel à la R&D. La fable de la Chine, usine du monde (à eux la production, à nous les métiers nobles de l’innovation) n’a hélas rassuré que les gogos qui ont voulu y croire.

2010 est le début de l’ère du « vert à moitié plein » ! Une partie de la société commence à mal respirer, à avoir un peu trop chaud, à s’effrayer des monceaux de déchets. Le normalisateur politique bat la mesure pour instiller une petite dose d’environnement. On tente de reboucher le trou dans la couche d’ozone, les pots catalytiques combattent les particules, le bio se fraye un chemin dans la chaine agro-alimentaire. On sent bien qu’une vraie rupture arrive, sans trop savoir quand elle surgira.

2020 : sans que personne ne l’ait vu venir, le monde s’arrête et débute l’ère de la couronne (bon là, je l’admets, il va vous falloir un peu de réflexion pour trouver le lien avec la couronne. La suite devrait vous y aider) ! 145 nanomètres de COVID19 rabattent les cartes. Toutes les ères s’emmêlent dans un gigantesque scoubidou. Les rouages semblent bien grippés. Dans l’urgence, on demande aux ingénieurs de se verdir à vitesse grand V, aux hommes de production de mettre, pour de vrai, l’homme au cœur d’une industrie du futur sortant de l’adolescence, aux comptables de regarder tous les coûts cachés des productions à l’autre bout de la planète, aux stratèges de rapatrier fissa tout ce qui est essentiel et aux informaticiens de se pencher sur la sécurité de la data tout en virtualisant au maximum le travail. Le monde d’après sera-t-il si différent du « business as usual » ?

Difficile de le prédire de notre petite fenêtre ! C’est comme tenter de comprendre la dérive des continents en regardant les formes harmonieuses du Semnoz et du Parmelan, de part et d’autre du beau lac d’Annecy. Bonne poire, j’ai l’optimisme de penser que nous devrons repenser notre monde, volontairement ou sous la contrainte, en inventant un nouveau savoir-F.A.I.R.E : Frugal, Agile, Innovant, Résilient, Ecoresponsable.

Si c’est le cas, rien ne sera plus comme avant et nul ne s’étonnera, des pommes, des poires, et des scoubidous instillés pernicieusement dans cette chronique !

Des pommes, des poires et des scoubidoubidoula, scoubidoubidous…

André Montaud

Partagez l’info sur vos réseaux !

Ces actualités pourraient également vous intéresser :

Touche Entrée pour lancer la recherche et Esc. pour fermer