[Chronique Innovation]
Le bit m’habite

novembre 5, 2019

De l’expérience menée par Schrödinger, l’un des piliers de la physique quantique, à la suprématie quantique annoncée par Google… Doit-on s’affoler ??

Laissez-moi introduire la chatte de Schrodi.

Bon, là je vois déjà le redac’chef se fâcher tout rouge, à l’idée de devoir expliquer à des lecteurs pointilleux, pourquoi on peut laisser passer un titre et des propos aussi subtilement graveleux.

Et à mon tour, je me révolte car je ne vois ici qu’un louable effort de didactique. Ce dont je veux vous parler est, en effet, bien étrange. Schrödinger, l’un des piliers de la physique quantique, a imaginé une expérience de pensée à base de boite et de chat mort-vivant.

Cette fois, c’est la ligue des animaux qui va me tomber dessus. Mais passons.

Une expérience de pensée, sert à résoudre une énigme en utilisant uniquement ses neurones. Le sadique Erwin (c’est le petit nom de Schrodi) a donc imaginé la drôle manip suivante : il enferme sa chatte dans une grosse boite bien hermétique contenant un dispositif qui tue l’animal dès qu’est détecté la désintégration (totalement aléatoire) d’un atome radioactif. En gros, la machine balance du cyanure sur le pauvre animal. Tout ce qu’il faut retenir de ce qui précède, c’est le mot aléatoire. Autrement dit, personne, pas même le physicien le plus Nobélisé au monde ne serait capable de vous dire à quel moment le cyanure tueur sera émis. En clair : le minou dans la boite peut vivre ou mourir, sans que l’on en sache fichtrement rien depuis l’extérieur. La seule manière de le savoir c’est d’ouvrir la boite et de constater.

En terme savant, on parle de décohérence quantique. En ouvrant la boite, la chatte n’est plus morte et/ou vivante. Elle est clairement soit l’une, soit l’autre.

Là, je sens poindre la révolte du lectorat : Mais qu’est ce qu’on en a à faire de cette histoire à la noix ?

Bon d’abord, si vous étiez quantique, le lundi matin, vous pourriez être au boulot et en grasse mat, en même temps. Pas mal, non ? Il y a juste un truc insignifiant à résoudre : celui de vous réduire à la taille d’un atome, ce qui, j’en conviens, est loin d’être évident. Car c’est bien cela le problème : le cantique du quantique ne se chante que dans le monde de l’infiniment petit.

Alors, pourquoi s’affoler ? Tout simplement parce que Google vient d’annoncer sa suprématie quantique.

Euh ? C’est effrayant ?

Là encore, il va falloir faire un petit retour en arrière. Cela fait un bon moment que les boutonneux geeks fantasment sur les chattes. Ils y voient même la troisième révolution de l’informatique : après les ordinateurs à lampes et ceux à transistors, le qubit (quantic bit) changerait totalement la donne en terme de puissance de calcul. Selon la théorie, on pourrait résoudre en quelques secondes des équations qui prendraient des années avec le plus gros des plus gros super calculateurs (ceux qu’on utilise pour la météo ou la recherche militaire). Ou, dit autrement, on craque en un rien de temps la clé de cryptage de votre carte bleue. Alors, toujours pas la pétoche ?

Heureusement le quantique, ne s’attrape pas aussi facilement. Pour fonctionner, un calculateur quantique doit être totalement isolé du monde extérieur. Il ne communique qu’avant (entrée des données) et après (lecture du résultat). Entre les deux, ce doit être le back out total dans un froid proche du zéro absolu (-273°C), sinon, on crée des interférences (la décohérence du chat) et tout est foutu.

Mais si ça marche, c’est le jackpot. Pour l’expliquer, Thierry Breton (le PDG d’ATOS) parle d’un avis de recherche. En informatique classique, si dans un groupe de 1000 personnes on cherche celles mesurant plus de 1m80 et parlant anglais, on va les mesurer et les interroger une à une. Ce qui prendra beaucoup de temps. En quantique, on lancerait un appel du genre, « ceux qui parlent anglais et mesurent plus de 1m80, levez la main ». Et la réponse serait quasi immédiate.

Et Google dans tout ça ? La société aurait réussi à faire fonctionner une machine de 53qubit grâce à son microprocesseur Sycomore. Le résultat : une solution trouvée en 3mn20 secondes, là où une batterie de 100.000 ordinateurs classiques aurait mis 10.000 ans. C’est cela, la suprématie quantique. Pour l’instant, ça ne sert strictement à rien, car on est à l’extrême limite de la technologie : le truc tellement compliqué que la DeepTech, chère à nos startups, serait considérée comme une gentille récréation de maternelle.

Mais l’argent coule à flot sur ce quantique révolutionnaire, et nul doute qu’une vraie suprématie mondiale est en jeu : une sorte de tour de contrôle du Tout. Et si j’ai un conseil à vous donner, surveillez ce secteur de très, très près ! D’ailleurs, depuis que j’ai eu l’information, le bit m’habite !

 

André MONTAUD

am@thesame-innovation.com

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